Virer son propre patron…est-ce réellement possible pour des salariés ?

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La Coopérative du Balai Libéré : Un Modèle de Libération

Comment des femmes de ménage en Belgique ont licencié leur patron et fondé une coopérative

Une Lutte pour la Dignité


En 1975, un groupe de femmes employées par une entreprise de nettoyage à l’Université catholique de Louvain-La-Neuve (UCL) en Belgique a décidé de se mettre en grève.
Les raisons étaient claires : des salaires insuffisants pour un travail de plus en plus exigeant.

Ces employées essentielles au bon fonctionnement de l’une des plus grandes universités belges étaient payées bien en deçà du tarif normal, subissant en outre des conditions de travail déplorables.
Leur rémunération était de 78 francs de l’heure, tandis que le tarif standard était de 102 francs.
De plus, elles étaient souvent réaffectées à des postes situés à des dizaines de kilomètres de leur domicile, sans que leurs frais de déplacement ne soient pris en charge par l’employeur.

En février 1975, en raison de restrictions budgétaires, l’UCL ne pouvait plus embaucher toutes les femmes de ménage.
Le patron de la société de nettoyage a alors décidé de transférer plusieurs d’entre elles vers un autre site, à Recogne, à plus de 150 kilomètres de chez elles.
Cette décision a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, entraînant une grève massive de toutes les employées.

Le Licenciement du Patron

Soutenues par des syndicats et des étudiants de l’UCL, ces femmes ont organisé des actions au sein de l’université.
Le 10 mars 1975, elles ont pris une décision historique en licenciant leur patron par le biais d’une lettre :

(…) Nous constatons après une étude approfondie de notre travail que nous pouvons parfaitement l’organiser entre nous. (…) Ensuite, nous découvrons que votre rôle principal a été de nous acheter notre force de travail à un prix négligeable pour la revendre à un prix d’or à l’UCL (…). Vous n’êtes pas seulement inutile, mais expert en vol organisé. (…) Nous sommes au regret de vous signifier votre licenciement sur le champ pour motif grave contre vos ouvrières.

Face à cette contestation sans précédent, le patron a annoncé son départ en cédant ses parts.
Les employées ont donc pris les rênes de l’entreprise et ont mis en place une organisation horizontale.

La Diminution du Syndicalisme

Depuis cette période en 1975, le paysage syndical a considérablement évolué.
En France, le taux de syndicalisation est tombé à environ 10 % depuis le début des années 1990, contre 20 % en 1970 et 30 % en 1950.
À titre de comparaison, le taux de syndicalisation en Belgique est aujourd’hui d’environ 54 %.

Pourquoi la France connaît-elle une crise du syndicalisme depuis 30 ans ?

Plusieurs facteurs entrent en jeu, notamment la précarité croissante due aux crises économiques répétées, ainsi que le faible taux de syndicalisation parmi les travailleurs temporaires et en contrat à durée déterminée (CDD).
De plus, les représentants syndicaux en entreprise sont souvent moins bien rémunérés que leurs collègues, en particulier s’ils participent à des grèves.
Ils sont parfois également « fichés » par leurs employeurs, ce qui limite leurs opportunités de promotion.

En France, le syndicalisme souffre également d’une mauvaise image, perçu comme un frein à l’avancement professionnel.
La « peur des représailles » est l’une des raisons pour lesquelles les salariés hésitent à se syndiquer.

La Coopérative comme Alternative


Pourtant, des alternatives existent.
En 1975, les femmes du Balai Libéré ont d’abord créé une association, puis une coopérative qui fonctionna en autonomie pendant 14 ans.
Malheureusement, un changement de législation en Belgique les a contraintes à arrêter leur activité.
Depuis, l’UCL a de nouveau recours à des entreprises sous-traitantes via des appels d’offres renouvelables tous les trois ans.

Les coopératives sont-elles la clé pour se libérer du salariat, comme cela a été le cas temporairement pour les employées du Balai Libéré ?

La France compte actuellement près de 22 600 coopératives, employant plus de 1,5 million de personnes.
Leur impact économique en termes de redistribution est significatif : elles ne rémunèrent pas d’actionnaires, mais partagent équitablement les bénéfices entre leurs membres ou réinvestissent l’argent.

En outre, ce modèle économique semble mieux résister aux crises économiques, car il est plus en phase avec les besoins locaux, offrant une plus grande réactivité aux évolutions du marché.

Pourquoi alors ce modèle coopératif n’est-il pas plus répandu en France ?

Selon un consultant spécialisé dans les coopératives, cela s’explique en grande partie par la préférence des individus pour le modèle salarial traditionnel par crainte de sortir du schéma conventionnel et de s’organiser collectivement.
De plus, les coopératives nécessitent de repenser le modèle capitaliste individualiste actuel, un exercice auquel beaucoup sont encore réticents.

En fin de compte, la coopérative demeure une alternative attrayante pour une organisation collective plus égalitaire, mais sa popularité dépendra de l’évolution des modèles de gestion au sein des entreprises traditionnelles et de la prise de conscience des avantages qu’elle offre.

Conditions de Travail Actuelles

Au moment de la sortie du documentaire « Le Balai Libéré » au printemps 2023, Coline Grando a organisé des rencontres entre les employées actuelles et les anciennes du Balai Libéré.
Les employées actuelles ont témoigné de conditions de travail encore plus difficiles qu’en 1975.
Malgré des locaux plus vastes, elles sont deux à trois fois moins nombreuses pour effectuer le nettoyage, ce qui rend leur travail plus ardu que jamais.

Un Avenir sans Patrons ?

En 2021, Emmanuel Faber, PDG de Danone, a été révoqué par les actionnaires.
Cette décision a montré que même les dirigeants peuvent être licenciés. Cependant, selon Me Curnier-Cribeillet, avocate en droit social spécialisée en RSE, le pouvoir au sein d’une entreprise est généralement détenu par son président ou ses dirigeants, et leur mandat ne dépend pas des employés.

Cependant, dans le cadre d’une entente cordiale, il est possible de proposer au patron de céder son entreprise collectivement.
Dans des situations de crise économique grave, les salariés peuvent également faire appel au Tribunal de commerce. Si la liquidation est décidée, l’entreprise peut être cédée en tout ou en partie aux employés, qui ont alors la possibilité de la transformer en coopérative.

En France, des entreprises comme Lejaby, une marque de lingerie, ont maintenu leur activité en tant que coopératives pendant plusieurs années, produisant en France.
De même, Kaporal, une marque de jeans, a été reprise par d’anciens cadres en juin 2023, grâce à l’intervention du mandataire judiciaire chargé de sa restructuration.

Photo : https://fr.freepik.com/auteur/drazenzigic

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